[Le Monde] Avec la crise, la philanthropie est en première ligne

5 juin 2020 | Dans la presse

Après une année 2019 dynamique, le secteur des fondations fait face à nombre d’incertitudes liées à la situation sanitaire et économique.

Par

Aurélie Blondel

Mécènes et philanthropes ont été encore nombreux en 2019 à sauter le pas et à se lancer dans la création de leur propre fondation. Ou d’un fonds de dotation, le petit frère de la fondation – un instrument plus flexible et moins contraignant à mettre en place créé en 2008 pour dynamiser le secteur. Au total, il y avait, fin 2019, 4 419 structures en activité, soit 217 de plus que fin 2018, selon l’Observatoire de la philanthropie, de la Fondation de France. Cette progression de 5,2 % clôt une décennie porteuse, qui a vu le nombre de structures bondir de 240 % (elles étaient 1 848 fin 2009).

« Ce rythme soutenu de créations témoigne d’un vrai dynamisme du secteur », se réjouit Axelle Davezac, directrice générale de la Fondation de France. La locomotive ? Les fonds de dotation, qui constituent désormais quatre structures sur dix. Leur nombre a crû de 8,6 % en 2019. Mais l’année fut belle aussi pour les fondations « sous égide » (un tiers des entités), abritées par une fondation d’intérêt public : leurs rangs ont gonflé de 67 structures (+ 5 %).

Près de 4 500 fondations et fonds de dotation en France

Fonds de dotation et fondations détenaient fin 2018 (derniers chiffres disponibles) quelque 29 milliards d’euros d’actifs (+ 4 % environ en un an) et ont dépensé en 2018 plus de 11 milliards (+ 8 %). Financièrement, les fondations mènent toujours la danse, les fonds de dotation représentant de 5 % à 6 % des actifs totaux et un peu moins de 3 % des dépenses.

S’adapter à l’après-confinement

Et 2020 s’annonce encore sous de bons auspices – « Sur les trois premiers mois de l’année, la Fondation de France a accueilli 19 nouvelles fondations abritées, contre 48 en 2019 », dit Mme Davezac. La crise sanitaire est passée par là et il est difficile de dire aujourd’hui à quel point les créations 2020 seront impactées. Nul doute toutefois concernant la taille des défis – colossaux –, qui ont émergé pour le secteur, confronté à des besoins croissants des populations fragiles, liés à la crise sociale qui s’amorce, et à des incertitudes sur ses ressources.

Pendant la crise, les fondations ont réagi à l’urgence et mobilisé des centaines de milliers d’euros pour la santé, la recherche, le social. Et après ? « Nous incitons nos membres à poursuivre leur générosité envers les plus démunis, sans oublier les domaines parfois délaissés durant la crise, comme la recherche hors Covid-19 et la solidarité internationale  les impacts sociaux du confinement dans certains pays sans filet de sécurité pourraient être importants», explique Benoît Miribel, président du Centre français des fonds et fondations (CFF).

Un dynamisme porté par les fonds de dotation et les fondations abritées

Sans oublier, insiste-t-il, « l’accompagnement structurel des associations que nos fonds et fondations soutiennent, elles-mêmes fragilisées économiquement ». La priorité, désormais, renchérit Mme Davezac : adapter les programmes prévus pour 2020 « aux multiples enjeux de l’après-confinement ». Une équation loin d’être simple : « Les fonds déjà alloués en ce début d’année pour répondre à l’urgence sont des fonds qui n’iront pas ailleurs, sur les programmes déjà lancés ou qui devaient l’être », note-t-elle.

Quel mécénat ?

Les sommes dépensées en urgence durant le confinement ne sont pas le seul « hic » en matière de ressources disponibles pour les fondations dans le monde d’après. Les fondations auront-elles les moyens de faire face aux besoins accrus des populations et des associations si la crise économique s’installe ? Les entreprises concentrées sur leur survie poursuivront-elles leur mécénat ? Celles qui feront moins de bénéfices, et donc se trouveront moins incitées fiscalement à donner, seront-elles toujours aussi engagées ? Une entreprise qui licencie peut-elle faire du mécénat sans froisser ses salariés ?

« Nous avons peu de visibilité, répond Stéphane Godlewski, fondateur de l’agence Doyouphil, spécialiste de l’accompagnement des fondations, mais je pense qu’une entreprise qui a vraiment structuré sa démarche de mécénat et l’a fait partager à ses collaborateurs poursuivra son action. L’engagement sociétal d’une entreprise continue à se justifier quand elle traverse une période difficile. »

« Nos fondations soutiennent des projets dans la durée, je ne les vois pas réduire leurs actions. Difficile néanmoins de croire qu’il n’y aura pas d’impact financier: les ressources des fondations viennent surtout des revenus générés par les entreprises, même indirectement. En temps de difficultés économiques, on ne pourra pas partager des richesses qui n’ont pas été créées », analyse Sabine Roux de Bézieux, qui préside l’association de fondations Un esprit de famille. Lire aussi Quelle générosité dans le monde d’après ?

Sans compter que le contexte fiscal aussi menace certaines ressources des fondations, rappelle par ailleurs Croisine Martin-Roland, directrice du Philanthro-Lab, futur incubateur dédié à la philanthropie. En cause, notamment, « la baisse de 60 % à 40 % de la déduction fiscale à laquelle une entreprise peut prétendre au-delà de 2 millions d’euros de dons, entrée en vigueur en 2020 », explique Stéphane Couchoux, avocat associé chez Fidal. « Les premiers échos sont clairs, les grosses entreprises vont réduire leurs enveloppes », déplore Mme Martin-Roland.

Les attentes du secteur

Après la mobilisation d’urgence vient donc le temps d’interpeller le gouvernement. « Nous aimerions maintenant avoir l’assurance qu’il prendra les mesures nécessaires pour encourager la générosité », réagit M. Miribel.

Concrètement ? « Nous demandons une déduction fiscale de 75 % des dons jusqu’à 1 000 euros jusqu’à fin 2020 pour toutes les causes. Et que les donateurs non imposables puissent, aussi, bénéficier d’un avantage fiscal en 2020 », détaille Jean-Marc Pautras, délégué général du CFF. Lire aussi Dons à une fondation : quels sont les avantages fiscaux ?

Outre les réponses de l’exécutif à la situation exceptionnelle de cette année, le secteur brûle de connaître les projets structurels du gouvernement à son égard. Un nouveau cadre juridique pour les fondations ? Un assouplissement de la réserve héréditaire (part d’héritage réservée à certains héritiers) ?

Une part du suspense pourrait être levée le 9 juin, avec la remise au gouvernement d’un très attendu rapport sur l’évolution de la philanthropie à la française, commandé en 2018.

Par

Aurélie Blondel

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