[Le Monde] Qui sont les « philentrepreneurs », ces nouveaux philanthropes qui ont le cœur sur la main et le nez dans leurs comptes ?

10 mai 2019 | Dans la presse

Ils ont réussi, souvent dans la finance ou les technologies, et veulent donner un sens à cette réussite. Les « philentrepreneurs » pilotent leur générosité (presque) comme on dirige une entreprise.

Par

Aurélie Blondel

Un cri du cœur : « Comme tout dirigeant, je vise l’efficacité. » Ce n’est pas de son entreprise, Cap Vert Energie, que parle Christophe Caille, 49 ans, mais bien de sa philanthropie. Plus précisément du fonds de dotation Ody’C qu’il a créé en 2018 pour protéger la Méditerranée.

Entrepreneur dans l’âme, ce père de trois enfants codirigeait depuis dix ans une société marseillaise consacrée aux énergies renouvelables, quand l’envie de « donner du sens à ce qu’[il] faisai[t], d’être un acteur sociétal, dans une démarche non enrichissante » s’est imposée.

Et comme tout bon dirigeant, il a doté sa structure philanthropique d’« une organisation de type entreprise, centrée sur l’efficacité et le résultat, avec des reportings, etc. ». Christophe Caille est un « philentrepreneur ».

Le fonds de dotation Ody’C revendique une vision « entrepreneuriale » dans l’accompagnement des projets de dépollution de la Méditerranée. Ici, des déchets sur le littoral, à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes).
Le fonds de dotation Ody’C revendique une vision « entrepreneuriale » dans l’accompagnement des projets de dépollution de la Méditerranée. Ici, des déchets sur le littoral, à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes). Jean-Michel Mille/Biosphoto

Nouveaux profils

« C’est la catégorie qui monte parmi les philanthropes : ceux qui ont réussi, souvent dans la finance ou les technologies, et qui veulent donner un sens à cette réussite, traduit Stéphane Godlewski, fondateur de l’agence DoyouphilVers 40 ou 50 ans, lors de la cession de leur société ou même avant, ils se créent une seconde vie. On les voit gérer leur fondation comme leur entreprise, très activement, ne se contentant pas de distribuer des fonds mais coconstruisant souvent les projets. » Le philanthrope de l’image d’Epinal, « âgé et héritier d’une grande famille souvent portée par des convictions religieuses et qui donne de génération en génération », a été rejoint ces dernières années par de nouveaux profils, renchérit Stéphane Couchoux, avocat associé chez Fidal.

« Je ne suis pas mère Teresa, j’aime le business, mais je voulais qu’une partie de ma vie, de mon temps, de mon argent, soit consacrée à donner », Anne Bouverot, dirigeante d’entreprise

Autre caractéristique du philentrepreneur : il a souvent eu une carrière ou une éducation internationale et s’est ainsi frotté à la générosité à l’anglo-saxonne. C’est le cas d’Anne Bouverot, Française de mère canadienne, qui partage elle aussi désormais son temps entre activités professionnelles et intérêt général.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Philanthropie : des fondateurs plus jeunes, des fondations plus réactives

« Je présidais une entreprise du groupe Safran et, quand elle a été vendue, j’ai touché un package de sortie, raconte-t-elle. Je voulais en donner une partie en faisant des chèques pour plusieurs causes, mais les acteurs que je rencontrais cherchaient des partenaires s’engageant sur le moyen terme. On m’a suggéré de créer une fondation, et je me suis rendu compte que ce n’était pas si complexe  j’ai choisi de passer par une fondation abritante, qui gère les aspects administratifs. C’est très satisfaisant d’avoir l’opportunité de se dire à un moment : voilà comment je veux structurer mon existence. Je ne suis pas mère Teresa, j’aime le business, mais je voulais qu’une partie de ma vie, de mon temps, de mon argent, soit consacrée à donner. »

Financer les structures porteuses de projets

L’idée de mettre à profit leur expérience de dirigeant est prégnante. « Je ne peux imaginer mettre de l’argent dans un projet sans l’accompagner, sans solliciter mes réseaux bancaire et industriel pour lui, par exemple », témoigne Eric Philippon, créateur du fonds de dotation Famae. « Beaucoup veulent mettre leurs compétences d’hommes d’affaires au service de l’intérêt général, confirme Croisine Martin-Roland, de la Banque transatlantique. Ils sont plus exigeants sur l’impact des projets. Certains appliquent même les techniques du private equity [placement privé d’actions d’entreprise] à la philanthropie, on parle alors de venture philanthropy. Celle-ci ne vise pas à financer directement des projets, mais les structures qui les portent, l’objectif est d’accompagner des associations avec des mesures d’impact. »Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Agent philanthropique, un métier d’avenir

« J’ai mis de l’argent dans un fonds de dotation non pas pour qu’il soit redistribué mais pour payer des salaires, grâce auxquels nous accompagnons des acteurs du monde environnemental, pour qu’ils prennent de l’ampleur et se pérennisent, explique M. Caille. L’objectif est aussi d’éviter d’avoir des associations qui vivotent avec une visibilité financière à un an parce qu’elles dépendent d’une subvention. Sans visibilité à trois ou cinq ans, c’est comme dans une entreprise, vous ne pouvez rien construire. »

Plus récemment, un autre profil de nouveaux philanthropes est apparu : « Des dirigeants qui, estimant que leur entreprise ne leur appartient pas, décident de céder une partie, voire l’intégralité, de son capital à un fonds de dotation, plutôt que d’affecter de l’argent », note Virginie Seghers, cofondatrice de Prophil, société spécialiste des « nouveaux modèles économiques au service du bien commun », notamment des fondations actionnaires.

« Une démarche hybride certes, mais de la philanthropie quand même : vous vous dépossédez en faveur d’une structure d’intérêt général, vous renoncez à vendre ces titres ou à les transmettre. » Une dizaine de fonds sont actuellement en train de devenir actionnaires, précise-t-elle, affinant encore la frontière entre les mondes de l’intérêt général et de l’économie.

Par

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